Dès la deuxième page, le piège référentiel se referme sur le lecteur audacieux. Le ton est donné : l’œuvre est un labyrinthe caché dans une bibliothèque. Celle de Luis Borges, si ses dimensions sont plus monstrueuses, avait au moins le mérite d’annoncer la couleur : rien ne sert de chercher, nous n’y entendrons jamais goutte.

Là, les indices existent hors du livre. Les références sont là, on les touche des yeux. Ces Vetera Analecta sont bien rangées en bibliothèque. Oui mais, prévient l’auteur, ce ne sont pas exactement celles-là dont il est question…

Jean Mabillon (1632-1707) est un érudit bénédictin et un hagiographe. Il entra chez les Bénédictins en 1654. Son œuvre la plus importante est l’Acta Sanctorum ordinis sancti Benedicti (Vies des Saints de l’Ordre de saint Benoît), une compilation en neuf volumes d’écrits datant de 500 à 1100 qui rendent témoignage de la vie des saints bénédictins.

En 1675, le premier des quatre volumes des Vetera analecta fut publié. Une violente controverse en 1691 avec l’abbé de Rancé de La Trappe, qui soutenait que les moines devaient s’adonner à un travail manuel plutôt qu’à l’étude, mena à sa célèbre apologie du savoir monastique, le Tractatus de studiis monasticis (Traité des études monastiques). Dans cet ouvrage, Mabillon a tenté de reconstituer le contenu de la bibliothèque du Vivarium, un monastère de Calabre fondé vers 540 par Cassiodore, à partir des œuvres de ce dernier.

Il a également écrit un ouvrage controversé, De cultu sanctorum ignotorum (Dissertation sur le culte des saints inconnus), dans lequel il s’en prend au culte des reliques non authentifiées découvertes dans les catacombes. Ce petit ouvrage fut dénoncé au Saint-Office, et Mabillon reçut l’ordre de rectifier certaines de ses déclarations et d’en retirer d’autres.

De la même manière, en 1700, la préface de Mabillon à l’édition mauriste de Saint Augustin suscita une telle levée de boucliers que Mabillon fut accusé d’hérésie, mais fut par la suite disculpé par le Saint-Office.

Peut-on tirer quelque chose de cette référence bibliographique ? Deux choses, selon moi : d’une part, on n’entre pas dans Le Nom comme dans n’importe quel roman. La route est longue, le niveau est élevé (le titre est donné en latin), et il nous faut du courage. Un paragraphe plein en latin, qui n’est qu’un titre, c’est une façon de bousculer le lecteur dans son horizon d’attente. La manière sèche d’exposer le titre n’y est pas pour rien. D’autre part, le foisonnement du titre est le miroir de l’œuvre : on y trouve de tout, on se perd, on cherche ; comme dans une bibliothèque, si l’on a oublié ses verres…

Je me suis amusé à traduire et à retranscrire la forme de la page des titres de l’œuvre en question.

vetera.pdf